« Nous sommes arrivés à ce qui commence. » – Gaston Miron

RÉDUIRE POUR CHANGER,
CHANGER POUR RÉDUIRE…
POUR SURVIVRE

«On peut même pas dire : c’est minuit moins une, là. C’est minuit plus quinze !… »

Catherine Potvin, professeur au département de biologie de l’Université McGill, Chaire de recherche du Canada sur l’atténuation des changements climatiques et la forêt tropicale,
Publié le 31 août 2023

Extrait du Téléjournal de Radio-Canada, 22 août 2023

Nous avons jugé cette entrevue tellement importante que nous en avons fait le verbatim ci-dessous.


Oui, comment est-ce qu’on va réussir à s’adapter ? Bonsoir madame Potvin. Donc, Catherine Potvin, professeur au département de biologie de l’Université McGill, spécialiste de l’atténuation des changements climatiques. Ça fait des années, les scientifiques comme vous nous mettent en garde. Et là, ça y est, on y est, là, on est en plein dedans. C’est une catastrophe annoncée ?

Oui, malheureusement, c’est complètement une catastrophe annoncée. Et c’est assez triste quand même pour nous de savoir que ça fait, comme vous dites, des dizaines d’années qu’on dit que ça va arriver et là, cet été au Québec, au Canada et un peu partout dans le monde, je pense que les gens l’ont senti avec le bout de leur nez.

Et vous, vous êtes très inquiète cet été de ce que vous avez vu ?

Moi, j’ai trouvé que l’impact des feux de forêt sur la qualité de l’air… Le 25 juin, on s’est levé et on voyait rien littéralement. J’étais au bord d’un lac, on voyait pas qu’il y avait un lac. Mais cette fumée-là, c’est pire qu’une fumée. C’est pas juste des feux de forêt. Déjà, c’est grave, des feux de forêt : des vies, des maisons, tout ça, mais c’est le carbone qui est émis. Donc, quand on voit ces feux de forêt là, ce qu’il faut comprendre, c’est que les plus grands puits de carbone de la planète, ce sont les forêts, et les feux émettent tout ce gaz carbonique dans l’atmosphère. Donc, cet été, au Québec seulement, je parle même pas de tout le Canada, les feux de forêt ont doublé au moins les émissions des humains d’un an complet. Donc, on est en train de…

C’est énorme !…

… perdre la bataille, on a beaucoup de difficulté à réduire, et là, la nature en émet encore plus.

Donc, pour vous, c’est ce qu’il y a de plus préoccupant dans tout ce qu’on voit depuis le début de l’été ?

Absolument, parce que c’est, c’est ce que, nous, les scientifiques, on parle : de points de bascule ! On a très peur de ça. On le disait. On disait : le moment où nos écosystèmes, au lieu de nous aider, au lieu de voir les forêts comme des pompes de carbone, se mettent à être tellement malheureuses que, elles vont émettre, on va perdre le contrôle. Et c’est vraiment ce qu’on a vu cet été, au niveau planétaire. Donc, là, c’est, c’est pas, on peut même pas dire : c’est minuit moins un, là. C’est minuit plus quinze ! Là, il faut vraiment qu’il y ait un coup de barre très très important de donné.

Parce que on sent que tout le monde a été secoué en fait par ce qu’on a vu, tout le monde a vécu plus ou moins, de loin de près, ces événements, mais est-ce que ça sera suffisant pour qu’on change nos habitudes, parce que, on est rendu là ?

On est rendu là ?… Je pense que c’est très difficile pour les citoyens de changer leurs habitudes. Je pense que c’est quand même aux gouvernements à nous indiquer la voie. Et les critiques que nos gouvernements comprennent, là, que on ne peut pas attendre plus, parce que ce genre de prédiction là, ou le genre d’été un peu apocalyptique qu’on a tous vécu, je pense que plusieurs d’entre nous l’envisageaient pour dans… dans cinq à dix ans. Donc, c’est plus rapide que ce qu’on pensait…

Ça s’accélère…

Ça s’accélère, et avec tout ce qui a été émis cette année dans l’air, ça va s’accélérer encore. Donc, il faut vraiment, il faut vraiment que les gouvernements aident les citoyens à, à changer.

Est-ce que vous avez le sentiment que les gouvernements, le gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral, est-ce qu’on prend ça assez au sérieux ?

Non !… On prend pas ça assez au sérieux. On comprend pas l’urgence, à quel point il faut aller vite maintenant. Donc, on a des plans pour 2050, 2035, 2030… Mais c’est, c’est maintenant ! Il faut maintenant investir, il faut maintenant, même si ça plaît pas aux gens, augmenter le prix du carbone. Il faut qu’on puisse avoir des moyens pour contrôler ce qu’on fait, pis changer de comportements, changer nos façons de nous transporter, tout, tout ce qu’il y a autour de la mobilité. On peut pas attendre 2035 pour des voitures électriques, là. Il faut, il faut vraiment se dire qu’on est dans une urgence extrême, comme la pandémie, mais pire !

Donc on pourrait réagir, réagir de façon, euh… contrainte…

Oui, constructive aussi, parce qu’on est quand même passé assez bien à travers la pandémie. Donc, je pense que l’important, c’est de voir toute la souffrance qu’il y a eu cet été, elle va juste s’amplifier. Monsieur Bourque le disait très bien : c’est que le début, le début de la détérioration climatique. Donc, si on veut pas que ces souffrances-là deviennent exponentielles, ben il faut complètement, maintenant, agir, réduire nos émissions.

Mais le Québec, par exemple, se donne encore 27 ans pour atteindre la carboneutralité…

Mais même le concept de carboneutralité qui tenait en compte toutes nos forêts, on se disait: on va « storer » du carbone! Mais non, nos forêts maintenant en émettent. Donc, il faut vraiment faire un grand, grand ménage dans nos plans climatiques. Et… et c’est un peu une révolution. Moi, je dis beaucoup une révolution dans les transports au Québec, au Canada, c’est un secteur extrêmement important. Évidemment, la production pétrolière pour le Canada, c’est un problème. Et il faut changer nos normes, il faut, il faut rapprocher nos cibles, il faut se dire qu’est-ce qu’on peut faire d’ici trois ans, qu’est-ce qu’on peut faire d’ici cinq ans. Et on a beaucoup beaucoup de potentiel, on peut, réellement on peut encore le faire, mais faut pas attendre.

Mais on a le REM à Montréal qui a été mis en service… Ça, ça va aider au transport collectif…

Le REM va aider, mais il faut pouvoir se rendre aux wagons du REM. Et le REM, c’est juste une petite partie. Donc, c’est excellent, une infrastructure structurante, mais partout ailleurs, on peut rajouter des autobus, des autobus partout dans les petites villes. On peut rajouter du transport entre les villes. L’interurbain, maintenant, c’est tellement difficile de se déplacer si on n’a pas de voiture. Donc, il faut penser à des solutions plus faciles : des bandes protégées dans les villages, dans les petites, dans les petites communautés plus rurales, pour permettre aux enfants d’aller à l’école à pied ou en vélo…

Pour que les gens puissent se déplacer…

Pour que les gens puissent se déplacer, mais sans que ce soit toujours avec la voiture. Donc, il faut vraiment que l’État facilite ça, et il faut surtout que les alternatives qui sont meilleures pour le climat arrêtent de coûter plus cher que les alternatives plus polluantes. Donc, actuellement, c’est seulement les gens très riches qui peuvent s’acheter une voiture électrique. Donc, c’est pas normal. Les voitures qui polluent devraient coûter beaucoup plus cher que les voitures électriques. Donc, il faut revoir la tarification du carbone. Au Québec, il faut revoir les plafonds d’émission à la baisse. Il faut qu’on, qu’on fasse payer la pollution et qu’on arrête un peu de la subventionner. Parce qu’on vit encore dans une économie où on subventionne les combustibles fossiles en plus. Absurde, complètement.

On vous sent pas très optimiste, en tout cas.

Très préoccupée !…

Oui, je pense qu’on l’est tous, avec tout ce qu’on a vécu. Madame Potvin, merci beaucoup de vous être déplacée, d’être venue en studio. C’est important, je pense, qu’on parle de ce sujet-là. On va en parler encore beaucoup cette année, je le sens. Merci beaucoup.

Merci à vous.