« Nous sommes arrivés à ce qui commence. » – Gaston Miron

RÉDUIRE POUR CHANGER,
CHANGER POUR RÉDUIRE…
POUR SURVIVRE

Mémoire sur le projet d’usine de liquéfaction de gaz à Saguenay, déposé au BAPE

Marc Brullemans, citoyen
Publié le 22 octobre 2020

Note liminaire :
Depuis octobre 2010, l’auteur s’est impliqué dans le dossier du gaz de schiste, participant à de nombreux comités, événements et donnant de nombreuses conférences sur la question au Québec. Depuis 2013, il aborde de manière critique la question du transport des hydrocarbures et de leur utilisation (usine d’engrais et autres) en mettant toujours en relief la question climatique via l’empreinte carbone. En 2018, il joint GroupMobilisation, promoteur de la déclaration citoyenne universelle d’urgence climatique. Il est membre depuis 2011 du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et des enjeux énergétiques du Québec.

Résumé du mémoire

Depuis la diffusion à grande échelle sur le continent des procédés de fracturation, depuis
2008 environ, la donne énergétique sur le continent s’en est trouvée fort modifiée. Les États-Unis sont ainsi devenus les premiers producteurs mondiaux de gaz et de pétrole, alors que le Canada, qui voyait sa production gazière conventionnelle fondre petit à petit, a pu augmenter la sienne grâce à la fracturation. Aujourd’hui, plus de 80% des puits forés au Canada et aux États-Unis sont « fracturés » et cette proportion demeure en hausse.

Il s’en est suivi une baisse des prix sur le marché et des surplus de gaz susceptibles d’être exportés. Mais comme le Canada et les États-Unis se retrouvent dans une situation similaire, une course à la liquéfaction afin ainsi d’atteindre des marchés hors du continent s’est amorcée. Aux États-Unis, six terminaux exportent déjà du GNL (capacité de 65 millions de tonnes par an) tandis que le Canada n’en exporte pas encore. À l’échelle mondiale, c’est 360 millions de tonnes de GNL qui furent transportées par méthaniers en 2019.

Le projet Énergie-Saguenay et Gazoduq en est toutefois un de classe majeure. S’il se réalisait, c’est 3,0% du GNL produit sur la planète qui serait fabriqué au Québec. Et pour promouvoir le projet, Gazoduq et GNL Québec utilisent l’argument de la réduction des GES par l’utilisation du gaz au lieu du charbon. Or, cela ne tient que si deux conditions sont remplies : 1) le gaz naturel émet moins de GES que le charbon sur l’ensemble de son cycle de vie et 2) le gaz naturel déplace véritablement le charbon sur les marchés. Or, des études récentes montrent que le taux de fuite global de la filière se situe entre 2 et 4%, un taux trop important pour prétendre que le gaz naturel émet moins de GES que le charbon. Cette première condition n’étant pas remplie, le projet n’a donc pas de raison d’être. Aussi, si l’on examine les points d’importation du GNL et que l’on collige les données de consommation de charbon et de gaz naturel par pays, nous constatons que le GNL ne se substitue que rarement au charbon : il s’ajoute à l’offre d’hydrocarbures. Pire, le GNL pourrait entrer en concurrence avec l’éolien
et le solaire, retardant leur essor.

Cette utilisation de gaz naturel et de charbon, sans oublier celle du pétrole, fait en sorte que les émissions globales de CO2 ne se stabilisent pas mais augmentent. S’ensuit une hausse du CO2 atmosphérique et pour le méthane, principal constituant du gaz naturel, la situation se révèle aussi problématique puisque, après une courte accalmie entre 1998 et 2007, la concentration de méthane atmosphérique est repartie à la hausse. Selon plusieurs études, cette hausse serait due en bonne partie au boom des extractions d’hydrocarbures fossiles par les procédés non-conventionnels.

Compte tenu du trop grand risque qu’occasionne une température planétaire supérieure de deux degrés à celle du 19e siècle, nous croyons qu’il faut suspendre tout projet impliquant une énergie fossile, et cela inclut le gazoduc et l’usine de liquéfaction de Saguenay. Voilà des décennies que les scientifiques appellent à un abandon progressif des énergies fossiles et voici l’heure d’agir sachant que tout retard sera lourd de conséquences.