Le niveau local de la planète
Deux lettres d’opinion par les deux co-rédacteurs du Plan de la DUC
Un 54e Grand Prix : Trois-Rivières fait du surplace
Marc Brullemans
(Publiée dans Le Nouvelliste, 23 août 2024)
Les jours passent et les années aussi. Ainsi, un 54e Grand Prix automobile eut lieu il y a quelques jours à Trois-Rivières. On pourrait s’en enorgueillir ou s’en désoler, ou encore, quoique plus rarement semble-t-il, en être indifférent. Pour certains « l’objectif, au final, est de brûler de l’essence pour pouvoir créer des émotions fortes en faisant tourner des voitures en rond » comme l’évoque Dominic Lapointe, professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM ; pour d’autres, le GP3R semble aussi vital que le pacemaker à la personne souffrant d’insuffisance cardiaque ou l’insuline au diabétique.
Dans un récent communiqué, nous écrivions: « Tandis que la tempête tropicale Debby poursuit sa route au Québec et qu’elle gâche, semble-t-il, l’Omnium de tennis à Montréal, de trop nombreuses personnes prennent l’anodin pour l’essentiel et l’essentiel comme anodin » ne sachant tout de même pas alors que la tempête laisserait plus de 200 mm de pluie en certains endroits et qu’elle mènerait à l’état d’urgence de nombreuses municipalités de la Mauricie. Mais l’idée de mettre l’accent sur l’Omnium de Montréal ou la tenue ou non de compétitions au GP3R tout en omettant le dérèglement climatique nous heurtait.
Aujourd’hui encore, il est question d’une erreur d’arbitrage à Cincinnati ou d’un soi-disant derby de démolition au dernier Grand Prix. Cela tient de l’anecdote si l’on considère que le jour de dépassement écologique a été évalué au 1er août cette année ou encore que les années 2023 et 2024 seront les deux années les plus chaudes des 125 000 dernières. Là, on touche l’essentiel.
Selon nous, le GP3R est une distraction massive et sa publicité verte passablement mensongère. Dernièrement des compagnies pétrolières canadiennes annonçant fièrement leur objectif de carboneutralité ont dû cesser leur publicité car la régle-mentation, bien que très imparfaite, se resserre en matière d’écoblanchiment.
Dans le même ordre d’idées, la F1, le summum du sport automobile, affirmait en 2018 être en mesure de se décarboner en 2030. Or, nous apprenons dans un récent rapport de cette même F1 qu’elle a réduit de 13% ses émissions depuis 2018. Pensez-vous alors qu’elle atteindra la neutralité carbone dans 6 ans, sachant, en outre, que 50% des émissions de la série F1 sont causées par la logistique et un autre 30% par les voyages en avion? La F1 ferait-elle dans l’écoblanchiment?
Le GP3R a aussi son côté vert mais est-il tendre ou foncé? Selon son bilan 2022, le GP3R aurait sauvé 23 tonnes d’équivalents CO2 grâce à son volet vert. 23 tonnes… c’est moins que l’équivalent de 10 voitures à essence sur un an! De plus, le GP3R comme la F1, ne tient pas compte dans son bilan de GES du déplacement des spectateurs allant jusqu’à prétendre, l’une comme l’autre, que l’essence des réservoirs auraient été brûlée de toute façon. Avec le GP3R, on devient vite vert !
Et la Ville dans tout ça… Elle finance cet événement à plus de 600 000 $ cette année, elle qui avait pourtant appuyé il y a 6 ans la déclaration citoyenne universelle d’urgence climatique. Et en 2024-2025, que feront nos élu.es? Selon nous, par souci de cohérence, la Ville doit cesser de financer le GP3R. Tel qu’indiqué sur notre pétition qui a présentement cours – et que je vous invite à signer –, elle doit de plus mettre fin à l’étalement urbain et se mettre réellement en état d’urgence climatique. Ainsi, et seulement ainsi, elle contribuera à rétablir l’équilibre énergétique planétaire. Sinon, elle continuera à faire du surplace, comme cela est le cas depuis des décennies.
On avance, on recule, on évite de savoir, de répondre, d’agir quoi!
Les Olympiques du climat
Jacques Benoit
(Publiée dans Le Courrier du Sud, 7 septembre 2024)
Alors que Paris a célébré les Jeux olympiques et paralympiques pendant quelques semaines, les Olympiques du climat, eux, se déroulent chaque jour partout dans le monde et se poursuivront pendant les années à venir. Et le Canada y bat un à un ses propres records. Parmi les “médailles d’or” climatiques canadiennes 2024, on retrouve :
- le plus grand incendie de forêt en 100 ans dans le parc national de Jasper, qui a rasé 30 % de la ville touristique du même nom ;
- des grêlons de la taille d’un œuf de poule qui ont endommagé biens privés et publics, dont une partie de l’aéroport international de Calgary;
- des pluies diluviennes qui se sont abattues au Québec battant tous les records existants, 194 municipalités touchées par les inondations, 70 000 réclamations comptabilisées au 22 août, des factures de plusieurs millions de dollars pour les assureurs qui entraîneront des hausses de primes et de franchises, 170 routes endommagées, l’autoroute 13 fermée, plusieurs municipalités sans eau courante, l’état d’urgence déclarée en plusieurs endroits, sans compter les effets sous-estimés sur la santé mentale des sinistré.e.s.
À quand la prochaine fois ? À quelle fréquence ? Quelle durée ? Et sous quelle forme : canicule ? Sécheresse ? Inondation ? Tornade ? Même pandémie ?… Impossible de le prédire, mais ça se reproduira, n’en doutons pas.
Ces extrêmes découlent du réchauffement climatique causé par nos émissions de gaz à effet de serre (GES), qu’on ne cesse d’accroître. L’Accord de Paris pour contrer les changements climatiques signé il y a dix ans visait à ce que l’augmentation de la température planétaire ne dépasse pas 2 °C d’ici 2100, bien en dessous de 1,5 °C. Conséquemment, il fallait réduire fortement et rapidement nos émissions de GES.
Cette infographie de 2019 du Programme des Nations Unies pour l’Environnement montrait bien que plus on perd de temps, plus les efforts à fournir seraient élevés.
Mais nos gouvernements ont préféré répéter que nous devions nous adapter. Or, vouloir s’adapter sans s’attaquer aux causes est un cul-de-sac. Avant le 9 août, il y a eu Baie-Saint-Paul en 2023, les inondations de 2019, de 2017, etc.
Oubliez 2100 : nous nous dirigeons plutôt vers une augmentation de 1,5 °C aussitôt qu’en 2025, pouvant atteindre 2 °C avant 2040, comme nous en ont alerté des scientifiques australiens en 2020 !
Nos gouvernements de tous les paliers doivent prendre leurs responsabilités et agir pour que l’addition de tous les gestes individuels de leurs citoyen.ne.s ne soit pas annulée par des actions irréfléchies, le plus souvent celles des acteurs économiques.
Le gouvernement Trudeau a fait beaucoup de déclarations climatiques ici et à l’international, mais la réalité est que sous son règne, parmi les pays du G20, le Canada arrive au deuxième rang de ceux qui financent le plus les projets de combustibles fossiles avec des fonds publics.
Ayons cela en tête en repensant à sa visite à la mairesse de Longueuil le 22 février 2023.
Couvrant l’événement, Le Courrier du Sud écrivait que le premier ministre se considérait «aligné [avec la mairesse] sur plusieurs dossiers, comme ceux de la lutte aux changements climatiques…»
Sa visite avait débuté par l’atterrissage de son avion à l’Aéroport de Saint-Hubert moins d’une semaine avant une conférence de presse où la mairesse trônait fièrement pour annoncer le développement de ce même aéroport.
Sachant que l’aviation commerciale est responsable de 3 % à 6 % du réchauffement climatique mondial, on comprend mieux en quoi le premier ministre et la mairesse s’entendaient si bien sur la lutte aux changements climatiques. Malgré leurs vertes déclarations, leur message était « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! »
Parce qu’en soutenant un développement de l’aéroport qui fera passer de 11 000 à 4 millions le nombre de passagers par année, qui se traduira par plus d’une centaine de vols par jour, 6 à 8 vols par heure, la mairesse soutient une hausse importante de la pollution atmosphérique affectant sa population et une augmentation des émissions de GES qui fera disparaître tout effet positif de son plan climatique à venir, pour lequel elle a reçu 3,1 M$ de Québec, le montant le plus élevé du programme « Accélérer la transition climatique locale« .
Si dans les 30 dernières années, la consommation de kérosène des avions a diminué de 70 %, le trafic, lui, a été multiplié par 13 et devrait tripler d’ici 2050, selon Mehran Ebrahimi, directeur de l’Observatoire international de l’aéronautique et de l’aviation civile et… directeur scientifique de l’aéroport Saint-Hubert !
L’avion électrique, qui fait étinceler les yeux de la mairesse quand elle parle de sa Zone d’innovation aéroportuaire, c’est comme la capture du carbone pour le gouvernement Trudeau: ça paraît bien sur papier et dans des déclarations, mais c’est un gouffre à argent public et c’est totalement insuffisant pour le défi climatique auquel nous faisons face. Au mieux, ça prendra des décennies à se réaliser, des décennies que nous n’avons pas dans la lutte aux changements climatiques.
Ça suffit !
La mairesse devrait se souvenir à quoi devait servir la chaise des générations qu’elle avait commandée à Mères au front Rive-Sud et fait placer dans la salle du Conseil municipal : à rappeler aux dirigeant.e.s que le futur des enfants se dessine à travers les décisions prises aujourd’hui.
Alors s’il vous plaît, monsieur Trudeau, madame la mairesse : exit discours, excuses, projets inutiles et nuisibles.
Place à l’action conséquente pour que nos enfants aient un futur possible.
