« Nous sommes arrivés à ce qui commence. » – Gaston Miron

RÉDUIRE POUR CHANGER,
CHANGER POUR RÉDUIRE…
POUR SURVIVRE

Présentation d’Urgence climatique Montérégie à la consultation publique sur l’Aéroport de St-Hubert

Jacques Benoit, GMob
Publié le 27 mai 2022

Bonjour,

Merci de nous permettre de présenter notre mémoire à cette consultation publique.

Nous sommes URGENCE CLIMATIQUE MONTÉRÉGIE (UCM). Comme notre nom l’indique, nous reconnaissons l’urgence climatique telle que définie dans la Déclaration citoyenne universelle d’urgence climatique – DUC, appuyée par au moins 525 municipalités, MRC, CMQ et CMM représentant plus de 80 % de la population du Québec. Le Bloc québécois l’a aussi signée.

Nous sommes conscients que la catastrophe climatique dans laquelle nous glissons de plus en plus vite ne pourra trouver de réponse sans un plan d’action global impliquant tous les domaines de notre société, et tous ses niveaux : local, régional, national et international.

Le Plan de la DUC est un tel plan d’urgence global qui s’attaque aux causes de la catastrophe climatique. Il identifie les actions et les domaines dans lesquels doivent s’investir les gouvernements fédéral et provincial, les municipalités et les citoyen.ne.s, et ceci, dans toutes les régions du Québec. Il demande également que les gouvernements supérieurs fédéral et provincial donnent aux municipalités, comme gouvernements de proximité, les moyens et ressources nécessaires à répondre sur le terrain aux besoins et à la protection de leurs populations et de leurs milieux.

SUR LE SUJET DE LA CONSULTATION…

On n’imaginerait pas aujourd’hui faire un sondage sur la cigarette en ne parlant que  des retombées économiques, des emplois directs et indirects en agriculture, industrie, transport, etc., mais sans soulever les graves problèmes de santé que la cigarette cause aux personnes qui fument et à leur entourage.

Pourtant, c’est ce que réussit à faire DASH-L avec son projet de développement : ignorer tout le contexte du réchauffement climatique auquel contribue le transport aérien.

DASH-L brandit un sondage pour démontrer l’appui à son projet, mais en lisant les questions posées aux participant.e.s, on constate rapidement qu’on les a sondés sur des énoncés pieux et vagues, sur des souhaits faciles et des promesses superficielles, mais surtout en évitant de parler de ce qui devrait les préoccuper : les impacts négatifs de ce développement.

On cherche en vain la description détaillée de la réalité des impacts actuels de cette infrastructure, des raisons qui motivent un projet de développement (quel qu’il soit), des besoins auxquels cela répond, du contexte dans lequel tout cela s’inscrit, des impacts futurs de ce développement, etc., le tout sérieusement chiffré.

Nulle part on ne nous dit quelles sont les émissions actuelles (directes et indirectes) de gaz à effet de serre (GES) de l’aéroport et de ses composantes ? Quelles seront ces émissions (directes et indirectes) pendant et après son développement? Comment DASH-L voit-elle son rôle dans le développement de la catastrophe climatique en cours, et comment prévoit-elle participer à la réduction des GES qui en sont la cause (maintenant et via son projet de développement) ? (Chiffres et calendrier de mise en place).

Alors, puisqu’il n’y a rien de cela, nous allons présenter ce contexte déterminant ignoré par DASH-L, à savoir le réchauffement climatique planétaire, et les crises et dangers que cela, aviation comprise, fait courir à l’Humanité et à tout le vivant sur Terre.

D’entrée de jeu, nous voulons préciser deux choses. Premièrement, une crise est un événement brusque et exceptionnel, d’une durée variable, mais qui a une fin et dont on peut se remettre quand elle est terminée. Une catastrophe est plutôt une coupure définitive du déroulement normal des choses, et dont les conséquences seront irréparables.

Les sciences du climat nous indiquent que nous sommes maintenant entrés dans une trajectoire climatique qui engendrera des crises toujours plus nombreuses, qui iront s’aggravant et s’additionneront pour nous rendre la vie de plus en plus impossible. C’est pourquoi nous n’hésiterons plus à parler de catastrophe climatique.

Deuxièmement, les gaz à effet de serre (GES) et leurs impacts ne peuvent être circonscrits à une région, limités à une superficie ou à une courte durée. Il nous presse de comprendre que rendu là où nous en sommes, la Terre est un pays. Aucun gouvernement, ni aucun promoteur de projet, ne peut ni ne doit non plus ignorer la responsabilité qui lui incombe et à toute société humaine par rapport à la catastrophe climatique en cours et à ses enjeux urgents.

LE CONTEXTE CLIMATIQUE…

La question du développement de l’aéroport, comme toute question de développement, ne peut dorénavant être dissociée de l’urgence climatique. Nous devons répondre aux impératifs du réchauffement planétaire, ce réchauffement qui est causé par notre mode de consommation excessive, et notre utilisation d’énergies fossiles (charbon, pétrole, kérosène, mazout, gaz naturel ou de schiste, etc.) qui émet des GES. Or, quel est le portrait global de la situation, et le rôle particulier de l’aviation là-dans?

Les GES n’ont pas de frontières. Quel que soit le pays à l’origine des émissions, le résultat retombera sur l’ensemble de la planète et influencera le climat mondial.

Comme pays riche, nous faisons partie des plus grands émetteurs de GES quand on ramène nos émissions par habitant. Notre mode de vie, notre consommation excessive et toujours grandissante font en sorte que si tous les habitants du monde consommaient comme les Canadiens et les Québécois, il faudrait plus de quatre planètes Terre (4,7) pour répondre aux besoins.

Nous courons à notre perte.

Nous devons sortir des énergies fossiles. Nous devons de toute urgence réduire notre consommation en général, et notre consommation d’énergie en particulier, afin de limiter le réchauffement planétaire en cours à 1,5 °C, bien de dessous de 2 °C, comme convenu dans l’Accord de Paris de 2015.

Et pour réduire notre consommation, nous devons identifier tous les domaines où nous devons agir urgemment. Le secteur des transports est le plus grand émetteur de GES, comptant pour plus de 40% de nos émissions. Et ça, c’est malgré le fait que nos inventaires de GES ne tiennent pas compte des émissions du transport aérien international. Sont-elles importantes ?… Voyons voir.

Avec une estimation moyenne de 170 kg d’équivalent CO2 émis par heure de vol, il suffit à un passager en classe économique de voler pendant 10 heures en avion pour générer autant de GES qu’un habitant de l’Inde pendant toute une année. Et ça, quel que soit l’appareil : du monomoteur léger au gros charter. Si l’aviation était un pays, elle serait au 15e rang mondial des plus gros émetteurs, à 660 MT, devant l’Australie, qui est pourtant 3e producteur mondial de charbon !

De plus, l’émission d’une tonne de CO2 en altitude par rapport à celle émise au sol avec la même quantité de carburant n’a pas le même facteur de réchauffement. On le considère rarement, mais il est de l’ordre de 2 à 3, multipliant ainsi par 2 ou 3 les émissions “standards” d’un voyage en avion.

Soyons encore plus concrets : si DASH-L veut vraiment être « en harmonie avec l’environnement », comme il est dit dans leur sondage, ou si elle veut vraiment agir « dans une perspective de développement durable », une expression de plusieurs présentateurs dans les derniers jours, voyons ce que ça signifie.

Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a estimé que pour respecter les objectifs de l’accord de Paris sur le climat, réchauffement à 1,5 °C, en dessous de 2 °C, les émissions de GES doivent diminuer de 7,6 % par année au cours des prochaines années.

Le Canada, avec près de 15 tonnes de GES/hab, arrive au 10e rang des pays les plus émetteurs. Pour respecter l’Accord de Paris, le gouvernement canadien s’est engagé à réduire les émissions de 40-45 % d’ici 2030. Pour atteindre cette cible, la contribution du transport aérien devrait être une réduction de ses propres émissions de 6 % à 7 % par année, à partir de 2023.

Le Québec se vante d’être le moins émetteur en Amérique du Nord avec 9 tonnes/hab. Mais quand on le compare à la moyenne mondiale de 6,4 t/h, le Québec se situe plutôt au 23e rang mondial des plus émetteurs sur plus de 184 pays. C’est moins brillant, mais ça n’empêche pas le gouvernement Legault de viser une réduction moins audacieuse : 37,5% des émissions pour 2030. Pour atteindre cette cible québécoise, la contribution du transport aérien devrait quand même être une réduction de ses émissions de 5,7 % par année, à partir de 2023.

Des chercheurs de l’Université de Leeds, au Royaume-Uni, ont établi une cible encore plus basse : 25% de réduction, et ont identifié quelques changements au mode de vie occidental qui permettraient de réduire ainsi les émissions mondiales. Dans leurs solutions, l’une concerne les voyages en avion : selon eux, on ne devrait pas prendre l’avion pour un vol court (trois heures et moins) plus qu’une fois tous les trois ans et pour un vol long, une fois tous les huit ans. 

Vous trouvez ça exagéré ?  Nous sommes des radicaux ?

Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, déclarait le 5 avril dernier : « Les militants du climat sont parfois dépeints comme de dangereux radicaux, alors que les véritables radicaux dangereux sont les pays qui augmentent la production de combustibles fossiles.» Et il ajoutait : « Certains dirigeants politiques et chefs d’entreprise disent une chose, mais en font une autre. En d’autres termes, ils mentent. Et l’issue sera catastrophique. »

Les dizaines de milliers de scientifiques de partout dans le monde qui ont signé le dernier rapport du GIEC ont conclu, eux, qu’il ne nous reste que trois ans – TROIS ANNÉES – pour agir si nous voulons éviter les pires impacts du réchauffement planétaire en cours. Pas tous les impacts, seulement les pires !…  Ça veut dire quoi, ça, « les pires impacts », en matière de climat ?…

Le réchauffement actuel est à peu près de 1,2 °C. Et quels en sont les effets ?

Souvenons-nous de l’Australie, juste avant la pandémie, à l’hiver 2019-2020… Des mégafeux de forêt. Une superficie de plus 100 000 km2 a brûlé. Ça, ça équivaut aux superficies cumulées des régions de la Montérégie, de Montréal, Laval, du Centre-du-Québec, de l’Estrie, de Chaudière-Appalaches, du Bas-Saint-Laurent, de Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine,… en fait, tout le Québec au sud du Saint-Laurent, avec Montréal et Laval, et en ajoutant aussi Lanaudière… Ces incendies ont émis autant de GES que les 100 pays les plus pauvres dans un an. Pis cet hiver, c’était des pluies torrentielles et de violentes tempêtes, « l’équivalent aquatique des feux de forêt», qui ont causé des dégâts matériels et sur la faune similaires à ceux provoqués par ces incendies.

Chez nous, l’été dernier, le dôme de chaleur en  Colombie-Britannique : 49,6 C,  des forêts qui brûlaient sans arrêt, la municipalité de Lytton qui a cramé ; puis ensuite, à l’automne, 4 rivières atmosphériques en un mois qui ont inondé d’immenses superficies, détruisant habitations, exploitations agricoles et infrastructures. Un ancien v-p du GIEC a déclaré que ce dôme de chaleur était dans les pires scénarios du GIEC il y a 10 ans, mais qu’il était prévu pour la deuxième moitié du XXIe siècle. On n’en a pas encore franchi le quart ! Pendant ce temps, dans les Prairies, les semaines de chaleur infernale et les terribles sécheresses ont réduit de moitié les rendements agricoles…

Ce même phénomène de dôme de chaleur s’est reproduit en Inde et au Pakistan il y a un mois, avec des températures dépassant les 50 °C, et des pointes à 60 °, endommageant fortement les récoltes, obligeant l’Inde, 2e producteur mondial de blé, à mettre un embargo sur ses exportations pour s’assurer d’abord nourrir sa population. Le G7 s’en est alarmé en disant que cette décision d’embargo va «aggraver la crise » d’approvisionnement en céréales avec la guerre en Ukraine.

Notre première canicule de 2022 avant d’atteindre la mi-mai. Et les suites de cette vague précoce de chaleur qui se sont manifestées le w-e dernier avec le derecho, la tempête de vent (tornades, grêle, vents violents) qui s’est étendu sur plus de 1000 km du sud de l’Ontario jusqu’au Québec, avec tous les dégâts causés (arbres arrachés, tombés sur les maisons, les autos, les lignes électriques coupées, etc.). Sophie Brochu, PDG d’Hydro, a dit que c’était le pire désastre depuis le verglas.

À Denver, vendredi dernier, il faisait 32 °C, pis en moins de 24h, la température a chuté de 33 °, à ‑1 °C, avec chutes de neige, jusqu’à 50 cm à certains endroits dans l’État.

Dans La Presse d’hier, on apprenait que l’armée américaine envisage de fermer et déménager certaines bases de marines, dont l’une en Caroline du Sud parce qu’elle serait de plus en plus exposée à des extrêmes : chaleur, ouragans, niveaux d’eau élevés, etc. En 4 ans, ils ont recensé 576 cas de maladies liées à la chaleur dans cette installation et ils craignent la hausse de la fréquence des ouragans, des inondations et des vagues de chaleur extrême dans les années à venir.

Et tout ça, et bien d’autres, alors que le réchauffement n’est que de 1,2 °C. Et on se dirige actuellement, d’ici 2100, vers des augmentations de 3 à 5 °C !

Le rapport Réalité climatique 2020 explique que: « À +3 °C la production de nourriture va être insuffisante pour nourrir la population ; diminution de ⅕ du rendement des cultures, déclin des nutriments contenus dans la nourriture, déclin catastrophique de la population d’insectes, désertification, dysfonctionnements des phénomènes de mousson et manque chronique d’eau.  Ce sera “catastrophique” pour les moyens de subsistance des trois milliards de personnes les plus pauvres du monde. +4 °C, c’est incompatible avec une communauté mondiale organisée, ça va au-delà de “l’adaptation”, c’est dévastateur pour la majorité des écosystèmes.  Ce sera invivable même pour une seule moitié de la population du globe. »

Imaginez maintenant +5 °C.

Jean-Marc Jancovici, membre du Haut Conseil pour le climat, en France : “Une augmentation de 3 à 5 °C, c’est la famine et la guerre partout.”

Nous ne pouvons continuer comme ça à peser sur l’accélérateur en ignorant volontairement que le précipice arrive. À la vitesse où nous allons, c’est la survie de tout le vivant sur Terre, y compris l’humanité, qui est en jeu.

Tout développement, quel qu’il soit, qui entraînerait une augmentation des émissions directes ou indirectes de GES doit être stoppé.

Une dernière chose : parlons de quelque chose que nous connaissons bien maintenant : la pandémie de COVID-19 ! Selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), le trafic mondial de passagers, sous l’effet de la pandémie, s’est effondré de 66 % en 2020.

« Ah oui, oui, mais on va se rattraper, la pandémie achève ! » Détrompons-nous : avec l’égocentrisme des pays riches qui ne fournissent pas suffisamment de vaccins aux pays pauvres, Big Pharma qui refuse de casser ses brevets pour produire des vaccins à moindre coût, on n’est pas près de voir la fin des variants, d’autres vagues risquent fort de se présenter (on parle déjà d’une septième!).

Et le réchauffement climatique permet le déplacement géographique d’espèces porteuses de pathogènes non souhaitables pour l’humain, des agents pathogènes zoonotiques qui peuvent être d’origine bactérienne, virale ou parasitaire, qui se propagent à l’homme par contact direct ou par les aliments, l’eau ou l’environnement.

Et quel est le meilleur moyen de diffusion de ces pathogènes, de ces zoonoses ?… L’avion, qui n’a pas de limite ! 24 000 avions commerciaux parcourent le monde, plus de 38 millions de vols en 2018 vers l’un des 3 500 aéroports commerciaux… À chaque battement de cœur, un avion décolle dans le monde : 72 vols par minute. C’est ce qui fait qu’en quelques heures, une personne infectée peut passer de l’Asie à l’Europe ou à l’Amérique, ou inversement, et, chemin faisant, infecter plusieurs passagers qui partagent les mêmes vols !… C’est comme ça que SARS-COV-2 a pu passer si rapidement de l’Asie à l’Amérique, alors qu’un océan les sépare.

C’EST POUR TOUTES CES RAISONS QUE…

Le Plan de la DUC, par exemple, indique que nos gouvernements doivent:

  • Stopper les agrandissements d’infrastructures aéroportuaires et le développement de nouveaux aéroports ;
  • Imposer une tarification carbone spécifique au transport aérien et taxer lourdement les vols internationaux ;
  • Développer des services de transport collectif électrifié en mesure de desservir l’ensemble des municipalités ;
  • Faire apparaître dans les inventaires gouvernementaux les émissions des vols internationaux.

Mais pour l’heure, nous demandons un moratoire sur tout projet de développement de l’aéroport tant et aussi longtemps que ce projet avec toutes ses composantes ne fera pas l’objet d’un test climat visant à répondre aux défis que fait poser le réchauffement climatique sur l’avenir de la population, sur l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants, ici et ailleurs.

Merci.