« Nous sommes arrivés à ce qui commence. » – Gaston Miron

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Gouvernance: la Clinique médicale Angus à vendre

Chronique de Rémy Trudel à Radio-Canada
Publié le 11 novembre 2024

Émission 15-18, Radio-Canada, 11 novembre 2024, 17h24.

(Verbatim de la chronique/entrevue)

  • Y’existe un peu moins de 400 GMF…

Y’en a 384 exactement !

  • 384 GMF, parfait !

Et là, il faut donc comprendre qu’un groupe de médecine de famille, là, on attribue cette responsabilité-là à une équipe. Une équipe, c’est une entreprise privée, parce que les cliniques privées, là, ce ne sont pas des cliniques publiques, c’est une entreprise qui est appartient généralement aux médecins qui font les services médicaux aux patients et qui, avec l’aide du gouvernement… Quelle aide ? Quand on devient un groupe de médecine de famille, ça veut dire qu’on ajoute une infirmière, on ajoute un physiothérapeute, des professionnels…  Le gouvernement va vous donner un million par année pour de plus grands services. Bon.  Par ailleurs, et ça, c’est l’entreprise privée, la clinique médicale, pas les médecins, qui va recevoir ce million de dollars là. Qui plus est : les médecins eux-mêmes ont négocié dans leur convention collective 30 à 40 % de majoration de leur rémunération pour l’acte médical qu’ils vont verser aussi à l’entreprise dont ils sont propriétaires pour offrir les services. Ce qui veut dire qu’on fait en sorte que…

  • Donc un médecin doit, disons, payer sa place en GMF, un certain pourcentage de ses revenus, qui va aller au GMF

Il a accepté, en négociant ses tarifs, qu’une partie, de 30 à 40 %, va être versée à l’entreprise qui se charge des locaux, de l’administration, etc. Ça ne touche pas à sa rémunération à l’acte pour le service qu’il rend auprès du patient. Et puis, il faut donc ajouter à ça que la Régie de l’assurance-maladie du Québec verse la partie salaire au médecin, la majoration sert à payer pour les locaux et les équipements. Alors là, ça devient très attractif pour l’entreprise privée-privée, on va dire, parce qu’acheter une autre entreprise dont les deux sources de financement sont garanties, ben, mettons que c’est assez attractif ! Et on s’en prive pas ! Il faut ajouter aussi que de ces 384 cliniques, là, un bon nombre appartiennent donc à des médecins, mais un petit nombre aussi appartiennent à un autre type d’organisations : des coopératives, des organismes sans but lucratif…

  • Mais il y en a qui sont là pour faire du profit…

Mais il y en a qui sont là pour faire du profit, ils sont là pour ça, mais les médecins, il faut dire à leur décharge : y’aiment pas ça ! Ce qu’on constate, là : ils veulent faire de la médecine pour leurs patients, les soigner, et quand ils peuvent : est-ce que quelqu’un d’autre pourrait s’occuper de la partie matérielle ? Comprenez bien que pour l’entreprise privée-privée, c’est une aubaine de s’acheter un GMF avec ces deux sources de financement qui vous garantissent des revenus. Cependant, ça ne devient plus, en soi, un groupe de médecin de famille, ça devient un centre de profit ! Ça devient un centre de profit, et on a vu dans des relevés récents que même que c’est tentant parfois de dire : est-ce qu’on pourrait accélérer le nombre de rendez-vous que nous avons, le traitement… ? Pourquoi ? Parce qu’à chaque fois qu’il y a un rendez-vous, ben il y a une partie qui s’en va à l’entreprise pour assumer des responsabilités.

  • C’est pas la même chose, mais ça fait penser un peu, vous rappelez-vous, les garderies privées, puis les histoires qui sont arrivées avec…

Exactement ça. Mais avec ici, évidemment, une incidence sur la santé des patients.  Et puis ça entraîne aussi un autre phénomène : quand les profits espérés ne sont pas à la hauteur de l’entreprise privée-privée, ben il reste une chose à faire : ou on fait faillite, ou on vend l’entreprise, ou on délaisse les patients.

  • C’est des centaines de personnes en plan, ça…

Oui, tout à fait. Ce qui fait en sorte que c’est l’objectif premier de l’entreprise privée, c’est de faire des profits, et pour faire des profits, il faut que les opérations, les organisations produisent de plus en plus d’actes au risque de perdre. Quelle est la garantie que les patients ont d’être dans un groupe de médecine de famille et avoir accès à un médecin ou, en tout cas, à un service de santé ? Ben, il y en a pas parce qu’on est dans l’entreprise privée qui peut en arriver à dire : moi, je cesse les activités ! Il faut ajouter aussi cette façon de rendre les services en groupe de médecine de famille par des entreprises privées, via des entreprises privées, et ben, ça contrevient à la loi fédérale de la Santé, la loi canadienne de la santé, premier principe : si vous voulez avoir l’argent, les provinces, là, si vous voulez avoir de l’argent pour les services, c’est clairement indiqué dans la loi : TOUS les services de santé doivent être rendus, les services par des entreprises publiques, et qui vont faire la reddition de compte au gouvernement du Québec. On a joué souvent ça, dans les transferts fédéral-provincial, mais là il y a une…

  • Mais ils sont là, les GMF, là…

Les GMF partaient de la bonne intention, je connais bien parce que c’est moi qui les ai mis sur pied, mais ça a dérivé, le caractère public que devaient prendre ces cliniques-là, pour plutôt s’en aller comme une aubaine pour l’entreprise privée, un centre de santé. Je pense qu’il faut prononcer ici, en conclusion, faut prononcer un mot qu’on entend moins, qui est plus dur : oui, il faut nationaliser ces cliniques, ces groupes de médecine familiale. C’est la solution que moi-même… C’est une entreprise de services aux citoyens essentiels.

  • Mais ça coûterait tellement cher au gouvernement…

Non parce que l’argent, il le paye déjà ! Déjà, le gouvernement verse 300 millions, plus la partie de centaines de millions de rémunération supplémentaire aux médecins qui font leur travail médical de façon responsable. Alors, il n’y a pas de coûts supplémentaires puisqu’on paye déjà, sauf qu’on paye à des entreprises privées. Je pense qu’on devrait payer pour des services publics à un organisme public. Ça fait penser à un CLSC. On a déjà l’infrastructure pour ces organismes de type CLSC, une formule originale qui s’est répandue partout dans le monde, mais on a faussé l’objectif à atteindre et les moyens par lesquels on y arrive avec les centres de profits.

  • Ou alors on aura des mégaentreprises qui vont posséder des GMF, on sera entre les mains de multinationales qui vont offrir des soins de santé via des GMF…

Parce que le profit attire toujours, évidemment, si on veut toujours développer pis grossir, et on va se réveiller dans le centre d’achats où il va y avoir une entreprise qui va s’appeler un GMF. C’est le danger. Mais là, l’alerte est sonnée, alors maintenant, il faut qu’on réagisse, il faudra peut-être donc nationaliser les cliniques que sont les GMF.